VOYAGES
Les profondeurs de la capitale de la Campanie regorgent de tunnels, cavités et citernes, qu’il faut visiter. Un dédale sous terre où un guide sera précieux pour vous mener parmi les étroits couloirs qui mènent aux trésors antiques.
Tout le monde vous le dira : le Naples d’aujourd’hui n’est jamais - même si la douceur du climat se prête mal à cette métaphore - que la partie émergée de l’iceberg. Il y a une ville sous la ville, décalque quasi exact de celle qui s’offre à la vue. Dans ce millefeuille spatiotemporel, si l’on creuse encore, il est certain que la ville souterraine en cache encore une autre. Car ici, disent les archéologues, on a commencé à remuer la terre il y a au moins cinq mille ans, soit bien avant que les Grecs, pour édifier Neapolis, n’extraient des carrières le tuf, une roche tendre, résultant de la consolidation des débris volcaniques issus du Vésuve tout proche. La légèreté et la facilité d’extraction de cette roche en ont fait, depuis l’Antiquité, un des matériaux les plus employés dans la construction des bâtiments, tant publics que privés. Et à Naples, on n’a jamais hésité à se servir chez ses prédécesseurs, surtout quand le matériau s’y prête.
L’entrée des catacombes de San Gennaro
(Ve siècle avant J.-C.).
Photo M. Siragusa. Contrasto. Rea
Via Sant’Anna di Palazzo
Une des portes d’entrée de ce royaume des morts bien vivant se situe dans la vieille ville, via Sant’Anna di Palazzo. Si l’on souhaite en sortir, la présence d’un guide est indispensable, et celui qui parle français est disponible tous les jours sur le coup des 3 heures de l’après-midi. Effet d’un syndrome cavicole ? Toujours est-il qu’il manie avec les visiteurs - et parfois à leur encontre - une ironie constante et une distanciation toute brechtienne. Après une imposante volée de marches, on se retrouve à 40 mètres de profondeur, dans un vaste espace de plus de 3 500 m2.
Vaste pour un troupeau de touristes, mais beaucoup moins pendant la Seconde Guerre mondiale, puisque cette salle y abritait couramment plus de 4 000 personnes. Le système électrique de l’époque, les latrines ainsi que divers graffitis patriotes ou obscènes sur les parois suintantes d’humidité, témoignent des conditions plus que précaires de la vie passée dans cet abri pendant les raids aériens. Entre 1940 et 1943, les bombardements alliés firent plus de 20 000 morts. Et ce, avant que les Napolitains se soulèvent et chassent, avant l’arrivée des Américains, l’occupant nazi lors des fameuses «Quatre Journées», du 27 au 30 septembre 1943.
La citerne d’Auguste
La guerre, c’est bien, à condition d’en sortir. Pour cela, il faut passer, en file indienne et munie d’une bougie, dans un étroit boyau en courbe et long d’une centaine de mètres, un vrai cauchemar pour claustrophobe. Mais la récompense est à la hauteur du malaise ressenti. Nous voici alors au bord de l’énorme citerne construite sous l’empereur Auguste, qui puisait au fleuve Serino et permettait de distribuer l’eau à toutes les habitations situées en surface. A l’autre bout du réseau, la bien nommée Piscina mirabilis constitue le réservoir terminal. Malgré les nettoyeurs, accueillis à bras ouverts par les familles reconnaissantes, cette eau était souvent contaminée, causant régulièrement des épidémies de peste et de choléra. Des botanistes ont tenté d’exploiter ces lieux si riches en humidité, comme en témoignent quelques plants de tomates et autres légumes. Seul problème, il fait sombre et la lumière est indispensable, ce qui rend la culture dispendieuse. Sauf, dit le guide, pour la marijuana, dont le statut légal est malheureusement incompatible avec l’afflux des visiteurs.
Le cimetière souterrain des Fontanelle
et ses parois de tuf (XVIe siècle).
Photo Contrasto. Rea
Le théâtre secret de Néron
On sort du souterrain pour emprunter une ruelle et entrer dans un basso, l’habitat traditionnel de la ville. On soulève une trappe dissimulée sous un lit pour découvrir, miracle, les vestiges d’un théâtre gréco-romain bâti au IVe siècle avant Jésus-Christ. Il faut un peu d’imagination pour reconstituer les lieux, mais les traces, notamment les murs de tuf assemblés avec un ingénieux système antisismique, prouvent qu’il ne s’agit pas d’une supercherie. D’autant que le guide, devenant lyrique voire exalté, cite in extenso une lettre du poète Publius Papinius Statius, qui raconte que Néron, empereur et comédien, y joua et s’y fit applaudir par un public cloué à sa place même, dit-il, pendant un tremblement de terre. S’il faut de l’imagination, c’est parce que la structure du théâtre est totalement englobée dans le bâti existant dont on retrouve des traces dans toutes les rues adjacentes.
Vico del Grottone
Les amateurs d’histoire plus récente peuvent visiter la Galerie Bourbon. On y pénètre par le 4 Vico del Grottone, à une centaine de mètres de la place du Plébiscite. Cette galerie fut construite en 1853 dans le plus grand secret par le roi Ferdinand II de Bourbon pour se ménager une fuite en cas de rébellion. Il devait aussi permettre, à l’inverse, d’acheminer tout aussi discrètement ses troupes dans le centre de la ville. L’ouvrage, confié à l’architecte Enrico Alvino, ne verra jamais le jour (ou plutôt la nuit). Le sous-sol, truffé de citernes romaines, n’était pas suffisamment solide pour un étayage sûr et le projet sera abandonné en cours de route, à la mort de Ferdinand, en 1859. On peut cependant visiter le tronçon construit, d’une largeur et d’une longueur impressionnantes, qui servit aussi d’abri pendant la Seconde Guerre mondiale. De la fin de la guerre aux années 70, il servit aussi d’entrepôt pour toutes sortes de vestiges : des véhicules militaires et officiels subtilisés à l’occupant américain sont encore visibles, ainsi que des statues fascistes récupérées dans les ruines des bâtiments bombardés.
Teatro instabile
Voilà pour le tourisme ; si l’on veut en savoir plus, il faut faire comme Nathalie Heidsieck, venue y passer un mois et qui y vit depuis vingt ans. Sous la tour de son palazzo de la vieille ville, se trouve une galerie en cirque qui abrite un lieu alternatif, le Teatro Instabile. Ceci n’a rien d’une exception. Chaque Napolitain «a accès au monde inférieur»,explique-t-elle. On peut aller chez des gens, dîner dans des grottes et visiter des tombes grecques. «Dans cette ville, la vie de l’Antiquité est transmise, les fantômes sont partout.» La Camorra, la mafia napolitaine, est aussi très dynamique dans le maintien des traditions, la multiplicité presque infinie des cavités lui permettant de planquer, sous la cité, ses trésors illicites, sans que personne ne s’en émeuve.
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