Une fois le Brexit consommé, dans deux ans au plus tard, l’anglais pourra-t-il conserver sa place hégémonique au sein des institutions communautaires ? A priori, la tendance est lourde et semble difficile à inverser, l’anglais, en réalité un euroglobish assez pauvre, étant devenu la lingua franca de l’Union. Et ce, moins sous l’influence des Britanniques, que des pays nordiques et d’Europe centrale et d’une France dont les élites ont depuis longtemps renoncé à défendre la place de la langue de Molière.
Il faut bien l’admettre : les trois langues de travail originelles de l’Union (allemand, français, anglais) ne sont plus qu’un lointain souvenir. L’anglais est devenu la langue quasi unique de l’Europe, y compris sur les sites internet de l’Union pourtant censés informer les citoyens (à l’exception notable du site du Parlement européen). Bien sûr, tous les textes juridiques sont au final traduits dans les 23 langues officielles de l’Union, mais ils sont tous élaborés et votés en anglais, avec ce que cela implique en termes d’adoption des valeurs transmises par une langue. La seule institution à encore travailler en français est la Cour de justice européenne qui, ce n’est pas un hasard, est sans doute encore plus détestée en Angleterre que la Commission.

Un pays, une seule langue officielle

Le problème est que le seul pays dont la langue officielle est l’anglais est… le Royaume-Uni. En effet, en vertu du règlement communautaire I-58, chaque pays ne peut avoir qu’une seule langue officielle. Or, l’Irlande a choisi le gaélique, Malte, le maltais et Chypre, le grec, même si ces pays usent davantage de l’anglais. Dès lors, une fois Londres retourné au grand large, l’anglais ne sera plus langue officielle et il ne pourra plus être langue de travail et encore moins langue de communication. A moins, bien sûr, de modifier le règlement I-58. Et là, bonjour : les Espagnols devront faire face aux revendications basques et catalanes, les pays baltes aux revendications de leur minorité russe, la France de ses minorités corse, catalane, bretonne, basque, etc. Et surtout parlé et compris par une minorité d’Européens, peut-il décemment demeurer la langue de l’Union ?
Le français pourrait donc dans cette affaire retrouver son ancien statut aux côtés de l’allemand. Après tout, il n’a fallu que dix ans pour que tout bascule dans une seule langue ! Les instituts Goethe et français ne vont pas chômer !
Jean Quatremer BRUXELLES (UE), de notre correspondant